Intervention de Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État, lors du Colloque "Logiques et rationalités des politiques publiques"
Extraits: "… Après avoir montré dans quelle mesure le juge administratif met lui-même en œuvre des raisonnements économiques dans le cadre de ses contrôles juridictionnels, j’examinerai en quoi les règles de son office s’inspirent elles-mêmes de logiques économiques.
Au sommaire de l'intervention:
I. L’économique passé au crible du juridique
Le juge administratif examine, apprécie et intègre dans son raisonnement juridique la logique économique des décisions publiques dont il est saisi.
A. En premier lieu, le juge administratif vérifie que la rationalité microéconomique des décisions publiques soit respectueuse des principes de l’ordre public économique. Son contrôle se déploie à un double niveau.
1. A un premier niveau, le juge vérifie que la finalité de l’intervention publique respecte les libertés économiques. Si la jurisprudence a progressivement assoupli les exigences de la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté économique des personnes publiques reste soumise au respect d’une conditionnalité propre, qui la distingue fondamentalement de la liberté d’entreprendre des opérateurs privés. Par un arrêt du 31 mai 2006, Ordre des avocats au Barreau de Paris, le Conseil d’Etat a jugé qu’indépendamment des missions qui leur sont confiées, les personnes publiques peuvent prendre en charge une activité économique, à la double condition que, d’une part, elles respectent le champ de leurs compétences et, d’autre part, qu’elles justifient d’un intérêt public, qui peut notamment - et donc pas exclusivement - résulter de la carence de l’initiative privée. C’est ainsi que, sous ces conditions, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce qu’une personne publique se porte candidate à une délégation de service public ou un marché public. Lorsqu’il s’agit d’une collectivité territoriale, celle-ci doit justifier d’un intérêt public local, c’est-à-dire que sa candidature constitue le prolongement d’une mission de service public dont elle a la charge. Il appartient, le cas échéant, au juge administratif de vérifier les fondements économiques d’un tel intérêt public local, qui peut résider dans l’amortissement d’équipements ou la valorisation de moyens dont dispose la collectivité…
B. En second lieu, le juge administratif contrôle que les analyses sectorielles sous-jacentes aux décisions publiques respectent les intérêts microéconomiques des agents concernés…
II. Le juridique au miroir de l’économique
Le juge administratif s’inspire, dans l’exercice de son contrôle de proportionnalité, de raisonnements de type économique et il tient compte des effets économiques prévisibles de ses propres décisions.
A. En premier lieu, le juge administratif est conduit dans des domaines de plus en plus étendus à rechercher des solutions juridiques maximisant l’intérêt général grâce à un contrôle affiné de proportionnalité…
B. En second lieu, l’office du juge administratif a été revisité pour mieux tenir compte des effets économiques subséquents à ses décisions et des exigences inhérentes au principe de sécurité juridique…"
Conseil d'Etat - 2015-12-04