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Juris - Biens de retour - La jurisprudence française peut s’appliquer y compris sur des biens appartenant à l’exploitant avant la conclusion du contrat de concession

Article ID.CiTé du 24/10/2023



Synthèse
1/ Transfert à une collectivité territoriale, en vertu de la règle dite des « biens de retour », d’installations de remontées mécaniques exploitées par la société requérante
2/ Société ayant pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985 dont résulte la qualification générale du service des remontées mécaniques de « service public »
3/ Absence de charge spéciale et exorbitante du seul fait de la non-obtention du paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés à la collectivité territoriale
4/ Large marge d’appréciation
5/ Importance du but légitime poursuivi, s’agissant de la continuité d’un service public s’inscrivant dans une politique d’aménagement du territoire
6/ Proportionnalité

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La société requérante se plaint du fait qu’en raison de l’application de la règle des biens de retour en sa cause, elle a, à l’échéance de la convention de délégation de service public, été privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de cette convention sans qu’une indemnisation couvrant leur valeur vénale lui soit versée, et en vertu d’une règle qui n’était ni accessible ni prévisible.

(…)
Le Conseil d’État et la Cour administrative de Marseille ont jugé que les parties à une convention de concession de service public peuvent prendre en compte, dans le cadre de la définition de l’équilibre économique du contrat, les biens dont le concessionnaire était propriétaire antérieurement à la signature de la convention, qu’il affecte au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci, à condition qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique qui est partie à la convention, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée durant laquelle les biens apportés peuvent encore êtes utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés. Les parties peuvent à cette fin prévoir dans la convention le versement d’une indemnité au concessionnaire, mais une telle indemnité ne peut être versée que si, selon la formule de la décision du Conseil d’État du 29 juin 2018, reprise dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019, « l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ».

S’il en résulte que la société requérante n’a pu obtenir le versement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens litigieux, il n’en résulte pas pour autant qu’elle a été privée de toute compensation et de toute possibilité d’indemnisation.

En effet, d’une part, la société requérante indique elle-même que les équipements qu’elle a apportés à l’exploitation étaient amortis à la fin de la concession. Il s’en déduit que le coût de ces équipements, qui avait ainsi été comptabilisé en charges, était couvert par les résultats de l’exploitation lorsqu’ils ont fait retour à la CCVU.

(…)
Il apparaît en fait que la valeur des biens nécessaires au fonctionnement du service public apportés par le délégataire au moment de la signature de la convention de délégation de service public, qui sont transférés dans le patrimoine de la personne publique délégante, est en principe compensée puisqu’elle est intégrée au calcul de l’équilibre économique du contrat au moment de sa signature, et qu’à défaut, le délégataire peut, au terme du contrat, obtenir du juge administratif une indemnisation destinée à rétablir cet équilibre.

Dans cette circonstance, à supposer que l’ingérence litigieuse soit constitutive d’une privation de propriété, compte tenu aussi de ce que la société requérante a pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985, on ne saurait considérer qu’elle a supporté une charge spéciale et exorbitante du seul fait qu’elle n’a pu obtenir le paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés à la CCVU.

Vu de plus la large marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur et l’importance du but légitime poursuivi, s’agissant de la continuité d’un service public s’inscrivant dans une politique d’aménagement du territoire, la Cour conclut que cette ingérence était raisonnablement proportionnée à ce but.


CEDH Requête no 24300/20 du 5 octobre 2023