Saisi de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, le Conseil constitutionnel valide plusieurs de ses dispositions mais censure comme portant à l’exercice de la liberté d’expression une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée celles visant à réprimer le délit d’outrage en ligne et à prévoir l’application à ce délit de la procédure de l’amende forfaitaire
Le Conseil constitutionnel censure l’article 19 de la loi déférée qui visait à réprimer le délit d’outrage en ligne et à prévoir l’application à ce délit de la procédure de l’amende forfaitaire, en punissant d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Il était reproché à ce délit par les auteurs des deux recours, notamment, de porter à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire dans la mesure où les faits qu’il punit sont déjà susceptibles d’être réprimés en application de nombreuses qualifications pénales existantes. En outre, cette atteinte ne serait pas non plus adaptée ni proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur, dès lors, d’une part, que le champ d’application de ce délit ne serait pas suffisamment circonscrit et, d’autre part, que la nécessité d’apprécier l’infraction en considération du « ressenti » de la victime ferait naître une incertitude sur la licéité des comportements incriminés.
À l’aune des exigences constitutionnelles précédemment rappelées, et après avoir rappelé qu’il est loisible au législateur d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers, le Conseil constitutionnel relève qu’il résulte des travaux préparatoires que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre des faits susceptibles de constituer de tels abus.
Toutefois, en premier lieu, la législation comprend déjà plusieurs infractions pénales, énumérées par la décision de ce jour, permettant de réprimer des faits susceptibles de constituer des abus de la liberté d’expression et de communication, y compris lorsqu’ils sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Le Conseil constitutionnel juge que si le législateur a prévu que le délit d’outrage en ligne ne peut s’appliquer dans les cas où les faits sont constitutifs des délits de menaces, d’atteintes sexuelles, de harcèlement moral et d’injures présentant un caractère discriminatoire, les dispositions contestées permettent cependant de réprimer des comportements susceptibles d’entrer dans le champ des autres délits mentionnés dans sa décision et prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou le code pénal.
En second lieu, le Conseil considère, d’une part, qu’en incriminant le simple fait de diffuser en ligne tout contenu transmis au moyen d’un service de plateforme en ligne, d’un service de réseaux sociaux en ligne ou d’un service de plateformes de partage de vidéo, au sens des dispositions auxquelles elles renvoient, les dispositions contestées n’exigent pas que le comportement outrageant soit caractérisé par des faits matériels imputables à la personne dont la responsabilité peut être engagée. D’autre part, en prévoyant que le délit est constitué dès lors que le contenu diffusé soit porte atteinte à la dignité de la personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, ces dispositions font dépendre la caractérisation de l’infraction de l’appréciation d’éléments subjectifs tenant à la perception de la victime. Elles font ainsi peser une incertitude sur la licéité des comportements réprimés.
Le Conseil constitutionnel déduit de ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
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Par la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel censure en outre comme cavaliers législatifs, c’est-à-dire comme irrégulièrement introduits dans la loi au regard de l’article 45 de la Constitution, les articles 10, 11, 18 et 58 de la loi déférée.
Conseil constitutionnel - Décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024
Sénat Dossier législatif
Le Conseil constitutionnel censure l’article 19 de la loi déférée qui visait à réprimer le délit d’outrage en ligne et à prévoir l’application à ce délit de la procédure de l’amende forfaitaire, en punissant d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le fait de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Il était reproché à ce délit par les auteurs des deux recours, notamment, de porter à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire dans la mesure où les faits qu’il punit sont déjà susceptibles d’être réprimés en application de nombreuses qualifications pénales existantes. En outre, cette atteinte ne serait pas non plus adaptée ni proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur, dès lors, d’une part, que le champ d’application de ce délit ne serait pas suffisamment circonscrit et, d’autre part, que la nécessité d’apprécier l’infraction en considération du « ressenti » de la victime ferait naître une incertitude sur la licéité des comportements incriminés.
À l’aune des exigences constitutionnelles précédemment rappelées, et après avoir rappelé qu’il est loisible au législateur d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers, le Conseil constitutionnel relève qu’il résulte des travaux préparatoires que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre des faits susceptibles de constituer de tels abus.
Toutefois, en premier lieu, la législation comprend déjà plusieurs infractions pénales, énumérées par la décision de ce jour, permettant de réprimer des faits susceptibles de constituer des abus de la liberté d’expression et de communication, y compris lorsqu’ils sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Le Conseil constitutionnel juge que si le législateur a prévu que le délit d’outrage en ligne ne peut s’appliquer dans les cas où les faits sont constitutifs des délits de menaces, d’atteintes sexuelles, de harcèlement moral et d’injures présentant un caractère discriminatoire, les dispositions contestées permettent cependant de réprimer des comportements susceptibles d’entrer dans le champ des autres délits mentionnés dans sa décision et prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou le code pénal.
En second lieu, le Conseil considère, d’une part, qu’en incriminant le simple fait de diffuser en ligne tout contenu transmis au moyen d’un service de plateforme en ligne, d’un service de réseaux sociaux en ligne ou d’un service de plateformes de partage de vidéo, au sens des dispositions auxquelles elles renvoient, les dispositions contestées n’exigent pas que le comportement outrageant soit caractérisé par des faits matériels imputables à la personne dont la responsabilité peut être engagée. D’autre part, en prévoyant que le délit est constitué dès lors que le contenu diffusé soit porte atteinte à la dignité de la personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, ces dispositions font dépendre la caractérisation de l’infraction de l’appréciation d’éléments subjectifs tenant à la perception de la victime. Elles font ainsi peser une incertitude sur la licéité des comportements réprimés.
Le Conseil constitutionnel déduit de ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
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Par la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel censure en outre comme cavaliers législatifs, c’est-à-dire comme irrégulièrement introduits dans la loi au regard de l’article 45 de la Constitution, les articles 10, 11, 18 et 58 de la loi déférée.
Conseil constitutionnel - Décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024
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