Trois ans après la promulgation de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique (LTFP), la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) ont dressé un premier bilan de la mise en œuvre de ses principales mesures, à l’exception de celles relatives à la promotion du dialogue social et à l’égalité professionnelle qui feront l’objet d’une enquête ultérieure.
Depuis plusieurs années, la fonction publique est confrontée à des difficultés de recrutement, déjà sous-jacentes en 2019 lors de l’adoption de la LTFP. Si de premières difficultés pour attirer, recruter et fidéliser les agents publics étaient déjà perceptibles, l’attractivité de la fonction publique n’était pas au cœur des objectifs que la loi poursuivait. Or maintes de ses dispositions répondent pour partie à cette question, notamment en ce qui concerne les modalités de recrutement des agents titulaires et contractuels et la fluidification des parcours professionnels.
Une mise en œuvre et un suivi de la LTFP partiellement défaillants
Même si un nombre très important de décrets ont d’ores-et-déjà été publiés, le retard pris dans la publication de certains textes d’application altère la portée de la loi. Il en est ainsi pour l’encadrement du dispositif très sensible des autorisations spéciales d’absence (ASA). Les autorités chargées de sa mise en œuvre, au premier rang desquelles la direction générale de la fonction publique (DGAFP), doivent veiller à donner sa pleine mesure à la loi votée par le Parlement
Un élargissement des possibilités de recours aux contractuels dont les employeurs publics peinent à se saisir
Les dispositions de la LTFP offrent des réponses, certes partielles, à ce contexte assurément pérenne, grâce à un recours facilité et diversifié au recrutement contractuel : contrat à durée indéterminée (CDI) en primo-recrutement, contrats pour des emplois de direction, contrat de projet. Or les gestionnaires publics manifestent un grand attentisme envers ces dispositifs.
Toutefois, les facultés récemment ouvertes aux employeurs publics ne doivent pas pour autant être sous utilisées. Ils doivent ainsi conduire une politique plus active pour répondre aux évolutions en cours, voire pour anticiper des tendances structurelles.
La montée en puissance des agents contractuels devrait les inciter à rechercher un cadre de gestion approprié à ces personnels aux effectifs croissants : par exemple, par la définition de cadres de gestion proches des conventions collectives selon une procédure ouverte par la loi de 2019.
Une fluidité des modes de recrutement statutaire et des parcours professionnels encore bridée par de nombreux freins
La rénovation des modalités d’organisation des concours pour fluidifier les recrutements et les rapprocher des candidats est toujours en attente.
Le déploiement du concours national à affectation locale (CNAL), qui offre une visibilité pour l’employeur public comme pour le candidat, reste peu usité, sauf par le ministère de l’intérieur et des outre-mer.
Le recrutement sur titres, largement déployé dans la fonction publique hospitalière, demeure encore trop rare dans la fonction publique de l’État et reste en suspens dans la fonction publique territoriale. Au total, les facultés offertes par la LTFP sont peu utilisées.
Le nouvel instrument que constituent les lignes directrices de gestion est un vecteur de transformation de la gestion des ressources humaines aujourd’hui encore peu opérant : les rappels statutaires y sont plus présents que la définition d’une stratégie spécifique et qualitative.
Par ailleurs, le développement des mobilités entre les trois versants de la fonction publique, prévu par la LTFP, se heurte à des obstacles récurrents (écarts des régimes indemnitaires à fonctions comparables) et à un défaut de connaissance des perspectives d’évolution de leur carrière par les candidats et des différences d’organisation des employeurs publics. Pour remédier à ces difficultés, les expérimentations lancées dans six régions en 2022 avec l’installation de comités locaux d'emploi public n’ont pas encore permis de mesurer leur efficacité
Une remise en ordre inachevée du respect de la durée annuelle de travail
Par dérogation aux règles de droit commun, les employeurs publics locaux et certaines administrations avaient maintenu des régimes de travail plus favorables aux agents, c’est-à-dire inférieurs à la durée légale de 1 607 heures. L’abrogation de ces régimes dérogatoires par la LTFP leur a imposé la redéfinition de nouveaux cycles de travail tout en maintenant le droit pour les agents faisant l’objet de sujétions particulières de continuer à bénéficier légalement de cycles de travail inférieurs. L’enquête a montré que les efforts d’alignement ont été jusqu’à présent très contrastés.
Les régimes dérogatoires au sein de la fonction publique de l’État, dont le rapport de l’inspection générale des finances de 2019 avait souligné l’ampleur, n’ont pas été revus. En conséquence, la proportion d’agents de l’État travaillant moins de 1 607 heures demeure identique. Elle a même augmenté notamment pour tenir compte de nouvelles situations, comme pour l’administration des douanes afin de faire face au Brexit.
Le statu quo sur les régimes dérogatoires au sein de la fonction publique de l’État est très préjudiciable à l’exercice du contrôle de légalité exercé par les préfectures pour la fonction publique territoriale, les collectivités locales justifiant le maintien de leur propre régime au regard du principe de parité. Des instructions nombreuses ont été données aux préfets pour exercer avec diligence ce contrôle sur les délibérations des collectivités locales. Bon nombre d’entre elles ont effectivement délibéré sur le temps de travail. Mais, l’exercice demeure inachevé.
Plusieurs collectivités ont maintenu un nombre élevé de régimes dérogatoires, quand d’autres ont contourné les obligations par des délibérations de régularisation « de façade ». Le contrôle de légalité préfectoral peine à les sanctionner, ne disposant pas, à la différence des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), des moyens d’investigation leur permettant d’apprécier leur réalité pratique.
De surcroît, la DGAFP a adopté une position en retrait sur ce sujet pourtant majeur. Outre l’absence déjà mentionnée du rapport à présenter au Parlement sur les actions mises en œuvre pour assurer le respect de la durée effective du temps de travail dans la fonction publique de l’État, font aussi défaut les décrets relatifs aux mesures d'adaptation tenant compte des sujétions auxquelles sont soumis certains agents de l’État et aux autorisations spéciales d’absence.
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Récapitulatif des recommandations pour assurer la pleine application de l’ensemble des dispositions de la loi de transformation de la fonction publique.
1. Dans le cadre de l’article 14 de la LTFP et pour les métiers qui s’y prêtent, proposer des cadres de gestion pour le parcours professionnel et la rémunération des agents contractuels (recommandation reformulée) (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
2. Développer les concours nationaux à affectation locale et élargir la possibilité de recrutement sur titres, y compris par la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (recommandation complétée) (ministère de la transformation et de la fonction publiques, secrétariats généraux des ministères).
3. Instaurer une interface entre la bourse à l’emploi de la Fédération Hospitalière de France (FHF) et le site « Choisir le service public » pour compléter l’espace numérique de publication des offres d’emplois publics(ministère de la transformation et de la fonction publiques, FHF).
4. Rendre publics, sous une forme anonymisée, les questions et avis les plus récurrents et significatifs concernant les conflits d’intérêts (ministère de la transformation et de la fonction publiques, ministère de l’intérieur et des outre-mer, ministère de la santé et de la prévention).
5. Étendre l’obligation de remboursement des sommes perçues au titre de la rupture conventionnelle à tous les agents publics retrouvant un emploi dans le secteur public dans le délai de six ans (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
6. Préciser, dans le rapport prévu à l’article 72 de la LTFP, les pratiques les plus courantes des administrations pour arrêter le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC) et indiquer tous les coûts afférents (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
7. Dresser et publier un bilan de l’harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale (ministère de l’intérieur et des outre-mer).
8. Publier un état des lieux des régimes dérogatoires à la durée annuelle du travail de 1 607 heures dans la fonction publique de l’État et mettre fin aux situations non prévues par les textes (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
Cour des Comptes >> Le rapport
Premier bilan de la loi transformation de la fonction publique dans les collectivités
France Urbaine (2022)
Depuis plusieurs années, la fonction publique est confrontée à des difficultés de recrutement, déjà sous-jacentes en 2019 lors de l’adoption de la LTFP. Si de premières difficultés pour attirer, recruter et fidéliser les agents publics étaient déjà perceptibles, l’attractivité de la fonction publique n’était pas au cœur des objectifs que la loi poursuivait. Or maintes de ses dispositions répondent pour partie à cette question, notamment en ce qui concerne les modalités de recrutement des agents titulaires et contractuels et la fluidification des parcours professionnels.
Une mise en œuvre et un suivi de la LTFP partiellement défaillants
Même si un nombre très important de décrets ont d’ores-et-déjà été publiés, le retard pris dans la publication de certains textes d’application altère la portée de la loi. Il en est ainsi pour l’encadrement du dispositif très sensible des autorisations spéciales d’absence (ASA). Les autorités chargées de sa mise en œuvre, au premier rang desquelles la direction générale de la fonction publique (DGAFP), doivent veiller à donner sa pleine mesure à la loi votée par le Parlement
Un élargissement des possibilités de recours aux contractuels dont les employeurs publics peinent à se saisir
Les dispositions de la LTFP offrent des réponses, certes partielles, à ce contexte assurément pérenne, grâce à un recours facilité et diversifié au recrutement contractuel : contrat à durée indéterminée (CDI) en primo-recrutement, contrats pour des emplois de direction, contrat de projet. Or les gestionnaires publics manifestent un grand attentisme envers ces dispositifs.
Toutefois, les facultés récemment ouvertes aux employeurs publics ne doivent pas pour autant être sous utilisées. Ils doivent ainsi conduire une politique plus active pour répondre aux évolutions en cours, voire pour anticiper des tendances structurelles.
La montée en puissance des agents contractuels devrait les inciter à rechercher un cadre de gestion approprié à ces personnels aux effectifs croissants : par exemple, par la définition de cadres de gestion proches des conventions collectives selon une procédure ouverte par la loi de 2019.
Une fluidité des modes de recrutement statutaire et des parcours professionnels encore bridée par de nombreux freins
La rénovation des modalités d’organisation des concours pour fluidifier les recrutements et les rapprocher des candidats est toujours en attente.
Le déploiement du concours national à affectation locale (CNAL), qui offre une visibilité pour l’employeur public comme pour le candidat, reste peu usité, sauf par le ministère de l’intérieur et des outre-mer.
Le recrutement sur titres, largement déployé dans la fonction publique hospitalière, demeure encore trop rare dans la fonction publique de l’État et reste en suspens dans la fonction publique territoriale. Au total, les facultés offertes par la LTFP sont peu utilisées.
Le nouvel instrument que constituent les lignes directrices de gestion est un vecteur de transformation de la gestion des ressources humaines aujourd’hui encore peu opérant : les rappels statutaires y sont plus présents que la définition d’une stratégie spécifique et qualitative.
Par ailleurs, le développement des mobilités entre les trois versants de la fonction publique, prévu par la LTFP, se heurte à des obstacles récurrents (écarts des régimes indemnitaires à fonctions comparables) et à un défaut de connaissance des perspectives d’évolution de leur carrière par les candidats et des différences d’organisation des employeurs publics. Pour remédier à ces difficultés, les expérimentations lancées dans six régions en 2022 avec l’installation de comités locaux d'emploi public n’ont pas encore permis de mesurer leur efficacité
Une remise en ordre inachevée du respect de la durée annuelle de travail
Par dérogation aux règles de droit commun, les employeurs publics locaux et certaines administrations avaient maintenu des régimes de travail plus favorables aux agents, c’est-à-dire inférieurs à la durée légale de 1 607 heures. L’abrogation de ces régimes dérogatoires par la LTFP leur a imposé la redéfinition de nouveaux cycles de travail tout en maintenant le droit pour les agents faisant l’objet de sujétions particulières de continuer à bénéficier légalement de cycles de travail inférieurs. L’enquête a montré que les efforts d’alignement ont été jusqu’à présent très contrastés.
Les régimes dérogatoires au sein de la fonction publique de l’État, dont le rapport de l’inspection générale des finances de 2019 avait souligné l’ampleur, n’ont pas été revus. En conséquence, la proportion d’agents de l’État travaillant moins de 1 607 heures demeure identique. Elle a même augmenté notamment pour tenir compte de nouvelles situations, comme pour l’administration des douanes afin de faire face au Brexit.
Le statu quo sur les régimes dérogatoires au sein de la fonction publique de l’État est très préjudiciable à l’exercice du contrôle de légalité exercé par les préfectures pour la fonction publique territoriale, les collectivités locales justifiant le maintien de leur propre régime au regard du principe de parité. Des instructions nombreuses ont été données aux préfets pour exercer avec diligence ce contrôle sur les délibérations des collectivités locales. Bon nombre d’entre elles ont effectivement délibéré sur le temps de travail. Mais, l’exercice demeure inachevé.
Plusieurs collectivités ont maintenu un nombre élevé de régimes dérogatoires, quand d’autres ont contourné les obligations par des délibérations de régularisation « de façade ». Le contrôle de légalité préfectoral peine à les sanctionner, ne disposant pas, à la différence des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), des moyens d’investigation leur permettant d’apprécier leur réalité pratique.
De surcroît, la DGAFP a adopté une position en retrait sur ce sujet pourtant majeur. Outre l’absence déjà mentionnée du rapport à présenter au Parlement sur les actions mises en œuvre pour assurer le respect de la durée effective du temps de travail dans la fonction publique de l’État, font aussi défaut les décrets relatifs aux mesures d'adaptation tenant compte des sujétions auxquelles sont soumis certains agents de l’État et aux autorisations spéciales d’absence.
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Récapitulatif des recommandations pour assurer la pleine application de l’ensemble des dispositions de la loi de transformation de la fonction publique.
1. Dans le cadre de l’article 14 de la LTFP et pour les métiers qui s’y prêtent, proposer des cadres de gestion pour le parcours professionnel et la rémunération des agents contractuels (recommandation reformulée) (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
2. Développer les concours nationaux à affectation locale et élargir la possibilité de recrutement sur titres, y compris par la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (recommandation complétée) (ministère de la transformation et de la fonction publiques, secrétariats généraux des ministères).
3. Instaurer une interface entre la bourse à l’emploi de la Fédération Hospitalière de France (FHF) et le site « Choisir le service public » pour compléter l’espace numérique de publication des offres d’emplois publics(ministère de la transformation et de la fonction publiques, FHF).
4. Rendre publics, sous une forme anonymisée, les questions et avis les plus récurrents et significatifs concernant les conflits d’intérêts (ministère de la transformation et de la fonction publiques, ministère de l’intérieur et des outre-mer, ministère de la santé et de la prévention).
5. Étendre l’obligation de remboursement des sommes perçues au titre de la rupture conventionnelle à tous les agents publics retrouvant un emploi dans le secteur public dans le délai de six ans (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
6. Préciser, dans le rapport prévu à l’article 72 de la LTFP, les pratiques les plus courantes des administrations pour arrêter le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC) et indiquer tous les coûts afférents (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
7. Dresser et publier un bilan de l’harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale (ministère de l’intérieur et des outre-mer).
8. Publier un état des lieux des régimes dérogatoires à la durée annuelle du travail de 1 607 heures dans la fonction publique de l’État et mettre fin aux situations non prévues par les textes (ministère de la transformation et de la fonction publiques).
Cour des Comptes >> Le rapport
Premier bilan de la loi transformation de la fonction publique dans les collectivités
France Urbaine (2022)